« Tu verras la transat c’est tranquille et c’est tout droit … » nous disaient les transateux aguerris lorsque nous les interrogions sur le voyage. Car cette traversée de l’océan Atlantique à la voile est une première pour tout l’équipage de Bossa Nova, alors on essayait de se faire une idée ! Bon bon bon…
C’est Captain Manolo qui raconte la transat de ses rêves, avec l’appui d’Océane qui, telle une reporter de l’extrême, a pris des notes quotidiennement.
(Pour rappel 1 nœud (nds) = 1,85 kmh.)
Le 4 décembre arrive et nous retrouvons enfin Honorine et Cécile, nos deux moussaillonnes. Une dernière petite pizzeria avant le départ pour se donner du courage ! La traversée s’annonce venteuse, les regards sont crispés sur les pontons de Mindelo.
5 décembre : c’est le grand départ ! Nous décidons de quitter Mindelo vers 11h30 et de faire une dernière escale dans la baie de São Pedro pour le déjeuner. Nous profitons de ce mouillage à l’eau translucide pour débloquer le speedo (petit moulin sous la coque qui donne la vitesse du bateau) un peu encrassé par ces dernières semaines bien sédentaires pour Bossa.
Cap Vert – Martinique : 3724 km à parcourir
16h30 : cette fois c’est parti ! Nous décidons de commencer tout doux en ne navigant qu’avec la voile d’avant (génois) tangonnée afin que l’équipage puisse prendre ses marques. Nous démarrons en faisant du sud-ouest pour s’éloigner du dévent de Santo Antão (l’île est très haute, elle coupe donc le vent sur plusieurs milles !). Le vent est fort (25nds) et nous terminerons la nuit avec 12nds, d’où une vitesse moyenne pas très glorieuse pour cette première journée. Le petit dej englouti, nous décidons de hisser la grand-voile et de faire cap sur la Martinique : presque plein ouest. Je regarde mon GPS : « Dans 3724 km, prenez la première sortie… »
Les jours qui suivent sont marqués par un vent assez soutenu entre 25 et 34nds. La mer se forme et surtout se croise. Le bateau roule d’un côté à l’autre et a une fâcheuse tendance à faire des écarts. Sans désalinisateur, nous avons fait ceinture et bretelle en prenant beaucoup d’eau. Trop chargé, nous avons du mal à reconnaitre le comportement de notre Bossa qui tient difficilement sa trajectoire. Nous nous résignons à réduire la voilure pour éviter les sorties de route.
Cette nuit je n’aimerais pas être en mer !
Quand le soir tombe, nous nous faisons à chaque fois cette même remarque : « le vent est monté, non ? ça déferle plus qu’avant non ? » En réalité, il y a toujours entre 25 et 30 nds de vent. Mais la vue baissant, tous les autres sens tentent de compenser, et les bruits des vagues s’imposent alors qu’on les oubliait presque pendant la journée.
Cependant, il arrive que le vent monte effectivement un peu plus fort que d’habitude durant la nuit. Lorsque les vagues se dessinent sous le clair de lune, on se sent vraiment tout petit. Cet atmosphère me rappelle mes sessions contemplatives des coups de vent à Quiberon que je viens admirer la nuit tombée à la Côte Sauvage, en me disant : « cette nuit, je n’aimerais pas être en mer… » Sauf que cette nuit j’y suis ! Bon d’accord, on est sous les tropiques, il fait entre 25 et 30 degrés, toujours est-il que les conditions météo ne sont pas tellement celles d’un mois de décembre pour une transatlantique !
C’est pas grave de toutes façons le café ça énerve… Surtout quand il n’y en a pas !
Au fait, à quoi ressemblent nos journées ? Peu de routines sur l’ensemble de la traversée, mais des habitudes de quelques jours, et une forme de rythme. D’abord tout le monde émerge entre 8 et 9, voire 10h. Un bon petit dej est partagé, mais sans thé ni café : trop risqué, tant pour les brûlures que pour la qualité de sommeil. Puis on peut faire une sieste, papoter, lire un peu ou, s’il fait chaud, prendre une douche d’eau de mer avec le seau devant les autres en toute intimité… On parle, on parle, on parle. Ensuite on prépare le repas, on mange, puis chacun-e prend un moment pour soi, dans son coin. Silence à bord. Le flot continu de parole reprend vers 16h autour d’un chocolat, et ne s’arrête plus avant la nuit et la prise du premier quart à 20h. On dîne vers 18h, avant l’obscurité. Ensuite, les nuits sont partagées en quatre quarts solo de 3h (de 20h à 8h), qui tournent chaque soir.
Au milieu de ces moments routiniers, quelques événements viennent marquer le quotidien. Deux pêches fructueuses pour commencer : une dorade coryphène et un petit thon parfaits pour 4 : merci Neptune ! Mais la pêche n’est pas l’activité la plus adaptée à cette transatlantique sportive et mouvementée…
Le tangon s’envoie en l’air…
Après cinq jours de navigation, en pleine nuit, alors que le vent forcissait, nous entendons un « chtong ». Le tangon, cette deuxième bôme qui permet de mettre les voiles en ciseau (une de chaque côté) s’est décroché et bat dans tous les sens. Nous parvenons à rouler rapidement le génois et nous allons inspecter le tangon pour comprendre. La mâchoire côté mât est tordue et nous ne pouvons plus l’utiliser. Il fait nuit, la mer n’est pas très bonne nous décidons de terminer la nuit sous grand-voile seule. Nous y verrons plus clair demain. A notre réveil, nous ramenons le tangon dans le cockpit pour pouvoir le bricoler avec une jonction textile en dynema (un cordage high tech ultra costaud) : c’est bon, on peut renvoyer le génois !
Au fait, il est quelle heure ?
« Dans la vie, il y a ceux qui demandent l’heure et ceux qui fabriquent les montres », disait le poète Youssoupha. A bord de Bossa Nova, on fabrique les montres ! La traversée depuis le Cap-Vert compte 3 fuseaux horaires. Mais l’avantage est que l’équipage de Bossa Nova n’a RDV avec personne, nous déciderons donc nous-mêmes des changements d’heure. Quel privilège !
Notre conseil croisière : faites escale à la marina du milieu.
Pendant notre traversée, nous tomberons par chance sur une marina au beau milieu de l’océan. Je décide bien évidement d’y faire escale afin de reposer l’équipage et de déguster un bon steak-frites. Nous amarrons solidement Bossa Nova au ponton mais là, surprise : le bateau continue de rouler dans tous les sens… Je décide alors de faire venir des plongeurs afin d’inspecter la quille : rien ! Tout est absolument normal et pourtant le bateau continue de bouger dans tous les sens… et le ponton aussi d’ailleurs. Tout cela est bien étrange. Soudain j’entends une voix lointaine : « Manu, c’est ton quart ». Je me réveille enfin, la marina du milieu et son steak-frites n’existent évidemment pas… Mon cerveau a tenté le coup pour me faire passer une belle nuit à plat, mais cela n’a malheureusement pas fonctionné !
C’est la moitié ! mais restons concentré !
Nous sommes tous très excités mais on sent que la fatigue s’installe. Chacun-e passe de moments très joyeux à des moments de nervosité (notamment sur le fait qu’on ne peut absolument rien poser : assiette de semoule, verre d’eau, livre… tout finit par se transformer en projectile qui vient lamentablement s’écraser quelque part dans le bateau).
L’évènement notable de cette journée : nous croisons la route d’un autre bateau et nous passerons à moins de 50m, ce qui donnera de bien jolies photos… Débrief post-transatlantique avec ce bateau, au moment de s’échanger les images au Marin : « ça bougeait beaucoup chez vous ! … – Ben chez vous aussi… »
Trois jours après cette phase d’excitation, nous vivrons un petit rappel à l’ordre. Alors que nous filions à vive à allure en fin de journée, une petite erreur de barre fera brutalement empanner le bateau (c’est-à-dire que la voile passera d’un côté à l’autre de manière très brutale). Cela aura pour effet de casser une pièce du charriot de grand-voile. Pour le dire plus simplement, nous ne pouvons plus régler la voile principale, ni même l’utiliser.
Le coucher du soleil est dans 1h et nous réfléchissons tous ensemble aux différentes solutions qui s’offrent à nous pour contourner cette pièce. Défi relevé, en 1h l’équipage trouve la solution à coups de multiples poulies de renvoi et de manilles textile. Un groupe de dauphins surgit à ce moment-là, comme pour nous encourager (comble de surprise, car c’est la seule fois que nous en verrons de toute la traversée). Nous renvoyons la grand-voile et parvenons à conserver notre rythme !
Dernière ligne droite : sortez les cirés !
Nous recevons tous les jours par téléphone satellite la météo du vent, de la part de Tonton Bernard. A moins de deux jours de l’arrivée, son message nous inquiète un peu : on annonce un bon coup de vent et des grains (grosses averses) : « sortez les cirés, c’est le plus gros temps que vous aurez à affronter ! » « Ah parce que c’était facile jusqu’à maintenant ? » se dit Océane, qui est proche du dépôt de bilan et demeure occasionnellement adepte de la méditation transcendantale vomitive. On se prépare effectivement. Au début tout est calme, Océane fait le premier quart, on est toujours à 25 nœuds de vent, 30 max. Cécile prend le relai à minuit et là, les ennuis commencent : un grain sauvage couche le bateau, le vent monte, monte, monte… au moins 45 nds au compteur. L’air qui s’engouffre partout hurle, la pluie rend le monde opaque et flou. Ça ne dure que quelques minutes, mais ça secoue tout le monde. Puis le vent retombe à 25 nds. La dernière nuit est passée à réduire la voilure, la relancer quand on n’avance plus, la réduire à nouveau. Bossa Nova surfe à 10nds (ce qui est vraiment beaucoup, on est plutôt à 7 nds de moyenne sur la traversée), et durant son quart Honorine enregistre même une pointe à 19,5 nœuds ! On sort de cette nuit incrédules et un peu fatigués. Pas de casse, pas de peur non plus, simplement de l’adrénaline et une douce sensation d’apocalypse heureuse qui grise les esprits : on l’a fait, on va bien, et on est bientôt arrivés.
Arrivée le 18 décembre 3h heure locale après 12 jours et 14 heures de navigation.
Voilà ! La traversée est bouclée en 12 jours et 14h, avec une belle arrivée nocturne à Sainte-Anne au sud de la Martinique : un ti-punch, un plouf, et au dodo au moment du lever de soleil ! L’équipage est fatigué et a besoin de se reposer…
Prochain épisode : « pa ni pwoblem en Matinik ! »
Quelques chiffres :
- 12 jours et 14h de traversée
- 6,9 kts de moyenne sur les 2080 milles parcours théorique (3 744km)
- 7,2 kts sur les 2174 milles parcourus réellement (12,96 km/h sur les 3912km)
- 19,5 kts dans un surf selon les organisateurs (le GPS), peut-être un peu moins selon la police (même si c’était impressionnant, difficile la nuit de se rendre compte)
- 3h de moteur en tout pour recharger les batteries, l’éolienne a marché à plein régime !
- Plus de 80 messages reçus sur notre tel satellite : merci, c’était vraiment trop cool de lire vos petits mots chaque jour 🙂
9 réflexions sur “La transat est un long fleuve tranquille”
Merci pour ce chouette partage qui nous permet de bien de se rendre compte de ce que vous avez vécu.Bravo à l’équipage.Très belle performance et une belle expérience. On a hâte de venir vous rejoindre et de partager un bout de votre aventure 🥰
Quelle traversée, quel récit ! Bravo pour cette transat’ et vive la suite. Amitiés. Benjamin Polle
Depuis le canap ça avait l’air plutôt tranquille! Contente de connaître les détails quand c’est passé, j’espère le retour plus facile 🙂
Merci pour cet article plein de fantaisie, la marina j’y ai vraiment cru un instant!
Je pensais avoir atteint le pic d’adrénaline avec votre récit de l’abordage de David l’annexe contre Goliath l’orange de 20 tonnes au cap vert…. Que nenni! Le récit rythmé par les grosses vagues de votre transat ALLER me laisse pantois et béat d’admiration pour votre équipage! J’essaie de me rassurer en me disant que ça peut pas être plus palpitant pour la transat RETOUR!
Bravo à l’équipage pour cette belle traversée qui montre une fois de plus que le SO 39 est un bateau véloce .
Adoré aussi l’épisode de la marina du milieu, bravo pour ce récit énergisant !
Bravo à tous les 4 et merci pour ce récit!
J’ai adoré la marina du milieu et le steak-frites, j’imagine la frustration au réveil, et le demi-sourire sur tes lèvres quand même 😅
Rolala… comme vous êtes forts ! 🙂 Bravo pour cette traversée & merci pour ce récit palpitant ! Merci aux dauphins pour leur petite apparition encourageante et « bon vent » mais pas trop trop quand même…! Gros bisous
Bravo Océane pour la marina……je lisais en me disant c’est pas possible on est en plein Zelda.. quel monstre vont-ils affronté.. continue comme ça c’est super intéressant.. A part ça on adore vos textes et vos superbes photos…Gros bisous…