22 juin, nous larguons les amarres pour le début de la transatlantique retour. Au revoir Saint-Pierre et Miquelon ! Et merci pour tout ! Ça y est, une fenêtre météo s’est ouverte pour nous permettre de traverser vers les Açores. Et pas n’importe quelle fenêtre, on part sur du grand luxe : mer calme, 10-15 nœuds de vent (18-27kmh), un bel anticyclone [lecteurs et lectrices non-marins, avouez-le, les seules fois où vous avez entendu le mot Açores c’était de la bouche d’Évelyne Dhéliat ou de Joël Collado de Météo France, précédé du mot anticyclone]. Nous avons environ 1200 milles nautiques à parcourir jusqu’à l’île de Flores. Et le programme de cette traversée de 8 jours et demi nous a été concocté par National Geographic : baleines, dauphins, oiseaux et encore des baleines !
Premiers cétacés, premiers émois
La traversée commence fort : enfin, nous voyons des baleines d’un peu plus près ! D’énormes rorquals croisent notre route à quelques milles de Saint-Pierre, on entend de puissants évents de toutes parts. Ils ne s’approcheront pas à moins de 500m de Bossa Nova, mais ça nous suffit ! S’en suivent des dauphins par dizaines qui accompagnent le bateau plusieurs minutes, et que nous voyons à nouveau le lendemain pour le coucher du soleil.
Le brouillard est très dense, la mer est encore froide. Mais elle se réchauffe, le quatrième jour elle passe la barre des 10°C ! On ne voit pas grand-chose, mais la mer est archi-plate, ce qui rend la navigation très confortable. On se régale des Saint-Jacques que Brigitte de Miquelon nous a offertes, et on a bien du mal à croire qu’on est au milieu de l’Atlantique (pendant que nos proches nous imaginent bravant tempêtes et vagues de 5m…).
Ces conditions calmes et l’absence de trafic maritime dans les environs nous permettent d’expérimenter un nouveau système de veille pendant la nuit : au lieu de faire des quarts de 3 ou 4h comme nous le faisions avant, nous coupons la nuit en deux ; celui ou celle qui est de quart peut faire des siestes de 20-30 minutes en cas de fatigue, et l’autre dort paisiblement au moins 5-6h de suite. C’est très confortable !
Le drame
Quatrième nuit à bord, j’entends des océanites piailler et voler à l’arrière de Bossa Nova pendant mon quart. Ces oiseaux fascinants restent en mer presque toute l’année, et ne vont à terre que pour se reproduire. Depuis l’intérieur, je les vois passer encore et encore pendant des heures. Soudain, un bruit sourd, et presque au même moment l’éolienne se met à vibrer bien plus fort qu’à l’accoutumée : horreur, des plumes sont accrochées dans ses pales… J’espère que l’oiseau ne s’en tire pas trop mal. J’aimerais pouvoir en dire autant de nos batteries de bord, fortement dépendantes de ce petit moulin, que l’on éteint par précaution. Il est 23h, le brouillard est très dense, ou bien est-ce une petite bruine, difficile à dire. On décide de rallumer l’éolienne, sinon les batteries (et donc le pilote auto et tous nos instruments) ne tiendront pas la nuit. Malheureusement quelques heures plus tard je trouve un océanite mort, juste aux pieds de l’éolienne… Évidemment, je suis épouvantée et m’en veux de l’avoir rallumée. Mais le comportement de ces oiseaux me laisse perplexe : ils s’acharnent à frôler le bateau jusqu’au lever du jour. Je suppose que l’on soulève quelque chose d’intéressant pour eux dans notre sillage (ils ne plongent pas et sont capables de se nourrir en plein vol, en frôlant la surface de l’eau). Est-ce le bruit ou le mouvement de l’éolienne qui les perturbe, ou bien ne l’ont-ils simplement pas vue ?
Toujours est-il que le lendemain soir, ils reviennent, et cette fois-ci nous nous débrouillons pour avoir assez de batterie pour pouvoir éteindre le moulin pour la nuit ! D’ailleurs, alors que je sors faire un petit tour de contrôle des voiles pendant mon quart, je surprends un de ces oiseaux qui est venu se reposer dans le cockpit, caché entre la table et le banc, bien à l’abri du vent. Il s’enfuit en me voyant et défèque sur le pont au passage ; c’est de bonne guerre puisqu’on a tué son frère…
Encore des cétacés, youpi !
28 juin, septième journée de traversée. La nuit précédente a été un peu pénible, le vent est parfaitement derrière nous, ce qui rend les voiles instables (la grand-voile claque et masque le vent du génois, qui claque à son tour). Je laisse Manu se reposer, le réveille finalement à midi avec une omelette aux pommes de terre et au fromage (faut pas se laisser abattre !) puis nous décidons d’envoyer le spi, notre grosse voile rouge adaptée à ce type de vent. Alors que Manu est à l’avant en train de finir de hisser la voile, et que je suis à l’arrière à m’occuper des écoutes, j’entends un énorme « pssssshhhh » derrière moi. Comme le bruit d’une vague qui déferle, mais plus fort, plus rapide, plus puissant. Je tourne la tête : une baleine, à moins de dix mètres de Bossa Nova. Si proche que je peux voir nettement ses deux énormes évents, à l’origine de ce bruit extraordinaire. Elle longe tranquillement le bateau, si proche que même lorsqu’elle est sous l’eau nous voyons son dos et sa tête sous la surface. Elle doit mesurer 8 ou 9 mètres. Je suis sidérée : je n’aurais jamais imaginé en voir une d’aussi près ! Pour la petite précision, c’est visiblement un rorqual commun (j’avais promis du National Geographic, je fais ce que je peux). L’animal s’évanouit dans les profondeurs de l’océan quelques instants plus tard. Oups, on en a oublié le spi !
Moins de cinq minutes après (et une fois notre belle voile rouge bien gonflée par le vent), j’entends à nouveau des bruits : du clapot différent de la houle. Cette fois-ci, c’est une bande de globicéphales, ou baleines-pilotes, qui vient vers nous. Ils sont au moins une douzaine, avec des petits. Après l’émerveillement du rorqual, l’ambiance est plus méfiante. Ils nous suivent pendant plus d’une heure et s’approchent parfois très près… On n’a pas envie de les embêter ! Mais quand même, ce sont des créatures magnifiques : trois à quatre mètres de long, à la peau entièrement noire et lisse et au front bombé. On se demande s’ils nous observent, s’ils savent qu’il y a des petites créatures blanchâtres cramponnées sur ce bateau. On n’ira pas leur demander. Ils refont une brève apparition plus tard, puis disparaissent.
Le lendemain c’est une nouvelle baleine qui vient tout près. Je ne m’habituerai jamais à la puissance de l’évent de ces animaux, et à leur délicatesse : malgré leur taille, elles ne provoquent pas la moindre vague sur l’eau.
L’arrivée à Flores se fait de nuit, autour de 3h du matin. Et c’est une arrivée olfactive ! En longeant l’île par le Sud, on ne devine que la forme de ses montagnes qui se dessinent sous un superbe ciel étoilé, et surtout, on sent : les prairies, l’herbe grasse, les vaches. J’ai l’impression d’être allongée dans un pré tant je suis saisie par ces odeurs. Après huit jours en mer sans rien sentir d’autre que les parfums du bateau et de l’océan, c’est particulièrement saisissant. On s’amarre à 4h du matin, dans la marina minuscule et détruite de Lajes. Nous voilà dans un des villages les plus à l’ouest de l’Europe. Vivement demain pour partir à la découverte de l’île !
Une petite pause aux Açores
Nous sommes instantanément sous le charme de Flores, l’île la plus à l’Ouest des Açores (et, par la même occasion, de l’Europe). Des prairies, des falaises, des vaches, des cascades… C’est une petite île à la fois rurale et luxuriante, que nous avons l’immense plaisir l’arpenter non seulement à pieds mais aussi en pick-up d’agriculteur ! C’est Théo, un ami rencontré via Marina et Norman (de Miquelon, cf. l’article précédent), qui nous a prêté sa voiture pour quelques jours. Il nous accueille dès notre arrivée avec un petit tour à la rivière avec des amis à lui : c’est la première fois que l’on se baigne depuis les Îles Vierges Britanniques ! Puis il nous invite chez lui pour un barbecue avec Julien, le dernier larron de son aventure sur le bateau La Julianne, quelques années auparavant. Adorable ! Théo et Samantha nous emmènent également à la Soupe de Lomba, c’est-à-dire une fête de village historique annuelle consistant à manger de la soupe et de la viande de bœuf grillée, le tout étant offert par le maire et une association qui fait perdurer cette tradition. Sympa !
On passe également beaucoup de temps avec les autres bateaux au port. Il faut savoir que la marina de Flores n’est pas bien abritée par vent d’Est et Nord-Est ; en 2019, le terrible ouragan Lorenzo a ravagé le port. Même l’énorme digue qui le protégeait n’a pas tenu face aux vagues de plus de 25m de hauteur… Donc officiellement, la marina est fermée (les travaux sont très lents car ils ne sont possibles que quelques mois dans l’année du fait des conditions météo). Les voiliers peuvent quand même s’installer, officiellement seulement pour réparer une panne… C’est fou le nombre de bateaux en panne ici ! Toujours est-il que les places sont rares et le contact facile entre les quelques voiliers amarrés. Contact encore facilité par le petit café juste en face de la marina, où nous passons plusieurs soirées en compagnie de Mathilde et Yann du bateau Éclipse, de Meli, Nico et Pierrick du bateau Mohican (parti de Saint-Pierre et Miquelon en même temps que nous !) de Louise et Gill du bateau Damned, et de Gaspard et Antonio, des bateau-stoppeurs. En bref, une escale magique et très sociale : on se repose très peu mais ça fait plaisir de rencontrer de nouvelles personnes !
Puis nous filons vers Faial, au port d’Horta qui est LE stop incontournable d’une boucle transatlantique : tout bateau voyageur se doit de peindre sa marque sur le quai, ainsi toute surface est recouverte de logos et dessins. On s’amuse à chercher ceux de bateaux que l’on connait ; et jackpot, on retrouve même la marque d’India Trane en 2016 ! Pour celles et ceux qui l’ignorent, India Trane est l’ancien nom de Bossa Nova ; on est émus de trouver la trace de son précédent passage, et encore plus ravis de constater qu’une place est libre juste à côté : parfait pour notre petit logo ! Bossa a changé de nom mais c’est toujours le même bateau, grand voyageur depuis ses débuts (et on l’espère pour encore longtemps !)
Horta, c’est aussi le Peter Sports Café, une institution locale depuis plus de 100 ans : tous les navigateurs passant par-là viennent prendre un verre ou/et un repas dans ce bar mythique. Certains y laissent un petit drapeau, un autocollant, une carte marine ou même un morceau de voile. L’ambiance est super et on y dîne deux soirs de suite.
Pour la petite histoire : notre pilote automatique, qui avait donné des signes de faiblesse lors de la traversée BVI-New York, nous a à nouveau lâché entre Flores et Faial. Cette fois-ci vraiment impossible de compter dessus car le vent, de face, est assez soutenu. François Pignon le pilote de secours rend définitivement l’âme lors de cette traversée (RIP…) que l’on finit à la barre. On se dit qu’on devra peut-être finir cette transatlantique retour sans pilote : il faut changer un petit engrenage et une courroie, on doute de trouver le bon modèle ici. Mais énorme coup de chance à Horta : dans le seul magasin d’accastillage digne de ce nom (de la taille et de l’aspect d’une petite cordonnerie), la vendeuse nous sort un vieux carton poussiéreux : « cherchez là-dedans, vous trouverez peut-être ce qu’il vous faut. » Et nous l’avons trouvé ! Bossa est accompagné par quelques bonnes étoiles…
Et puis voilà, un dernier au-revoir à quelques amis, un dernier pastel de nata, et il est temps de partir. On n’aura pas vu grand-chose des Açores (il y a tellement d’îles et de randos à faire, on pourrait y passer un mois voire plus). Il faudra revenir !
Le temps commence à presser, nous avons rendez-vous en Méditerranée très bientôt ! Prochain épisode : suite et fin de la Transatlantique retour !
2 réflexions sur “Transatlantique retour, épisode 1 : Coquillages et cétacés…”
L’article est superbement écrit comme d’hab. Mention spéciale pour la mise en abîme aux acores : Océane qui dessine l’emblème de bossa, à côté de india trane: le présent qui renvoie au passé en évoquant le futur dans le texte !
Belle navigation et belle escale, encore un endroit que vous nous donnez envie de découvrir…