Mi-avril, nous quittons le frère et la sœur de Manu avec un gros pincement au cœur, et puis soudain, nous réalisons que la saison de Bossa Nova Yacht Charter est terminée : plus aucune visite de prévue jusqu’à la Méditerranée. Les Antilles, c’est fini… Il est temps de remonter vers le Nord.
Une bonne semaine de préparation sera nécessaire avant de mettre les voiles : gros nettoyage et beaucoup de bricolage ! Agrémenté de quelques apéros avec les bateaux amis, à qui nous disons bien souvent au-revoir… Tout au long du voyage, nous avons souvent revu les mêmes bateaux aux différentes escales. Ici, nos chemins se séparent : certains continuent vers Panama, d’autres partent à Cuba, d’autres encore retraversent vers les Açores. Pour nous, ce sera les USA !
Une semaine aux BVI : entre paradis des îles et enfer administratif
Bossa est fin prêt, cap sur les British Virgin Island (BVI, ou Îles Vierges Britanniques) pour une dernière destination tropicale avant la remontée vers le Nord. La navigation, d’environ 15h depuis St-Martin, est un bonheur. Je me débrouille encore pour être de quart pour l’arrivée, avec un joli lever de soleil sur l’archipel… Nous découvrons un incroyable plan d’eau très bien abrité, paradis des catamarans et autres bateaux de locations : naviguer ici est facile, agréable, et l’on peut aller d’île en île en seulement 1 à 3h de navigation paisible. Après 9 mois de voyage, je découvre que la voile, ça peut aussi être ça… !
Nous débarquons à Tortola pour les formalités d’entrée sur le territoire. Douaniers désagréables, suspicieux, formalités ridiculement complexes (non, remplissez d’abord ce formulaire en ligne avant de venir, n’oubliez pas d’avoir votre test covid de moins de 48h, à quelle heure êtes-vous arrivés précisément parce que si c’était en dehors de nos heures d’ouverture alors vous devrez payer un supplément…) Bref, on garde le sourire, c’est les vacances.
L’apogée du stress administratif est quand même atteinte lorsque l’on s’attaque à nos formalités pour entrer aux États-Unis : pour ce faire, il nous faut un visa et un permis pour le bateau (cruising permit). Un aller-retour en ferry à Saint Thomas (île vierge américaine) nous permettra d’obtenir le premier, tandis que nous croisons les doigts pour pouvoir faire le second une fois sur place.
Bref, après toutes ces formalités nous décidons de profiter au maximum des quelques jours dont nous disposons aux BVI. Nous retrouvons nos amis Axelle et Etienne du bateau Blue Way dans le mouillage paradisiaque de St Peter, puis passons quelques jours à Virgin Gorda où nous ferons une dernière plongée sous-marine au spot de Coral Garden : une asso y a immergé des épaves de petits avions transformés en requins d’acier, qui forment un abri pour de nombreux poissons… Et requins !
Nous retournons à Tortola pour les formalités de sortie du territoire, puis direction l’île de Jost van Dyke pour une dernière nuit au mouillage, et un dernier resto avant le grand saut.
Le 2 Mai, c’est le grand départ ! On s’offre un ultime mouillage pour le déjeuner, sur l’île déserte de Great Tobago Island et une dernière session de palmes-masque-tuba : dans quelques jours, l’eau sera bien plus froide… J’ouvre grand les yeux pour savourer la vision toujours magique des poissons tropicaux qui évoluent entre les rochers de la crique. Au revoir les barracudas !
Du 2 au 14 mai : Cap plus ou moins direct sur New York
La navigation commence très bien, je ne suis (à mon très grand étonnement) pas malade du tout. Manu pêche une superbe dorade coryphène qui nous fera plusieurs repas copieux. L’idée initiale est de longer plus ou moins les Bahamas, puis la côte est américaine, afin de s’arrêter quand on veut pour une courte escale. Seulement voilà, au bout de 3 jours, message satellite de notre routeur à terre Bernard (venu à bord de Bossa au Cap-Vert) : une dépression va toucher la côte américaine dans quelques jours, si on continue sur cette route on aura 40 nœuds de vent en pleine face… Il faut donc filer au Nord-Est vers les Bermudes, puis aller ensuite vers l’Ouest direction New-York. Plus d’escale possible, mais c’est le seul moyen d’éviter la dépression. Allons-y !
Au passage, notre pilote automatique commence à émettre des bruits inquiétants et à rater quelques virages… On profite d’un moment de mer calme pour installer le pilote de secours, qui est plein de bonne volonté mais un peu fatigué… On l’appellera François Pignon car 1/ Quand on fait appel à lui c’est qu’on a vraiment plus le choix et 2/ il a les pignons qui dérapent… Au-delà de 15 nœuds (27kmh) de vent, il ne parvient plus à tenir le cap, et le nez de Bossa Nova pointe vers le vent à chaque vague. Qu’à cela ne tienne, nous allons barrer !
Contre toute attente, ces longues heures passées à la barre sont un vrai bonheur : je vibre avec le bateau dans les surfs, j’admire les vagues et les oiseaux qui nous accompagnent (beaucoup de paille-en-queue pendant toute la première moitié du trajet). Même sous la pluie, c’est exaltant ! Heureusement, le vent est plutôt doux sur une bonne partie de la traversée et le pilote de secours peut quand même prendre le relai la nuit, ou lors des repas.
Des orages nous entourent chaque nuit et les quarts sont passés à guetter, écouter, compter le temps entre les éclairs et le tonnerre. On se sent vulnérables, petite coquille de noix avec son grand mât de métal au beau milieu du désert océanique… Un seul orage passera effectivement au-dessus de Bossa Nova : on affale les voiles, on coupe toute l’électricité, on débranche tout ce qui peut l’être, on s’assoit à l’intérieur au milieu du bateau (le plus loin possible des bords et du mât) et on attend ! Tout est bien qui finit bien, Bossa évite les éclairs à merveille. Mais au fait Jamy, c’est quoi un orage ? A défaut de pouvoir regarder un C’est pas sorcier sur le sujet, on potasse la littérature météo disponible à bord (coucou le Cours des Glénans).
Tout un petit écosystème se montre à nous pendant une bonne partie de la traversée, entre les USA et les Bermudes : nous sommes dans la mer de sargasses, un genre d’algues. Les galères portugaises (créatures ressemblant à des méduses à voile) naviguent autour du bateau, abritant entre leurs filaments venimeux des petits poissons dont raffolent les dorades coryphènes. On y rencontre aussi beaucoup de dauphins, qui viennent jouer à l’avant du bateau.
Le moral est au beau fixe, New York approche vite. Jusqu’au moment où l’on se retrouve pris dans un très fort courant contraire : le Gulf Stream. On fonce à 7 nœuds au compteur (13kmh), mais on n’avance en réalité qu’à 4 nœuds (7,5kmh) dans une mer croisée bien désagréable. On pensait arriver 48h plus tard à New York… On sort du courant au bout de 24h, en n’ayant parcouru que 80 milles sur les 280 qui nous séparaient de l’arrivée. Le vent est complètement tombé entretemps, nous sommes obligés d’avancer au moteur. Puis c’est la brume qui se lève pour une ambiance mystique du meilleur effet… Chaque heure, la température de l’eau baisse d’un degré : on passe de 23 à 6°C dans la journée. On sort les cirés et les bonnets pour chanter Céline Dion à tue-tête : « Et si tu crois que c’est fini, jamais »… Sur ces belles paroles nous décidons d’arrêter d’estimer un jour et une heure d’arrivée, et d’un coup on se sent mieux ! On arrivera quand on arrivera, et on est pas malheureux en mer sur Bossa ; d’ailleurs une baleine vient nous faire coucou tout près du bateau un court instant, avant de disparaître dans la brume.
Petit matin, après 13 jours en mer. Nous passons sous un pont, nous croisons des bateaux, des bouées de chenal, la Statue de la Liberté… Supposément. On ne voit rien. La brume est toujours aussi dense. On jette l’ancre dans un décor inexistant : bon, il semblerait que nous soyons arrivés à NYC… Un bug dans la matrice ? En fait cette ville n’existe pas ?
Deux heures plus tard la brume se dissipe et Manhattan apparaît : c’est bon, New York existe bel et bien, et NOUS Y SOMMES !
4 réflexions sur “Fin d’un voyage, début d’un autre”
Merci pour ce récit vivant et qui permet de s’imaginer un peu ce que vous vivez au fil de l’eau.Nous on a que le côté:routeur sans les images…
Belle plume Océane, merci pour ce récit !
Quelle épopée! Et je l’avoue sans honte, une belle frousse rétrospective à vous imaginer sous l’orage: déjà à terre, c’est pas toujours drôle… Bravo pour ce récit palpitant
Beau texte ma soeur, toujours un plaisir de te lire (à défaut de se voir snif snif)