La grande aventure madérienne d’un grand poète français sur un grand bateau brésilien

Du 19 au 28 septembre : C’est avec un plaisir infini que nous laissons la plume à notre équipier de la semaine, Thomas (Toumach en portugais), aussi connu sous le nom de Captain Steevie (sobriquet obtenu suite à une aventure capillaire dont nous tairons les détails), qui nous a fait don de sa présence pour la traversée Lisbonne-Madère. Capitaine de son propre navire, la Water Seavic, mais aussi poète, troubadour, créateur de jours et cuistot de l’extrême, Captain Waouh a eu carte blanche pour narrer son voyage : enjoy !

J zéro : Arrivée à Lisbonne 

Après 5 minutes de taxi pour la marina Parque das Naçoes, je vis la mer. 

C’est Manu qui m’ouvrît la grille du ponton. 

J’étais enfin à Lisbonne ! Déjà plusieurs semaines que j’avais cassé le safran sur la Water. J’avais le mal de terre !

Une Super Bock plus tard, j’entamais des chants de nouvelle vague d’Amérique du Sud sur le ponton de Bossa Nova. Capitaine Océan et Manu m’accueillaient comme un roi !

Ils m’avaient laissé la chambre du capitaine ! Tant d’honneurs ! Je n’avais pourtant rien prévu ?! J’y passai une nuit reposante pour le plus grand bien de mon corps fatigué. 

Il faut savoir que Bossa Nova possède à son bord cette semaine 3 capitaines : 

  • Capitaine Manu, parfois connu sous le nom de Captain Balec’h, skipper affirmé ayant été conçu sur l’eau et qui manie le trident à la perfection. 
  • Capitaine Océan dont le nom en fera chavirer plus d’un. Elle barre de nuit comme un animal sauvage. 
  • Et moi-même, Capitaine Steevie, attitré d’un autre navire dont le safran souffrit dernièrement des bas-fonds chatouilleurs et dont l’estime n’est plus à faire. 

Le lendemain matin, après un café a l’orge et une pomme bien mûre, nous préparâmes le bateau. Heureusement que j’étais là ! Le pilote auto ne fonctionnait plus et il fallut que je sortie les plans papiers du montage de toute la machine pour le réparer vaillamment ! En quelques pschitttt d’huile, la mécanique œuvrait à merveille.

Nous pûmes prendre la mer après une danse du ventre accompagnée de son couscous puis une sieste. 

Nous remontâmes le Tage (Mahal) puis passâmes le pont de San Francisco. 

C’est alors que le vent forcît et que Bossa Nova prit la pente ! A plus de 8 nœuds nous faisions cap directement sur Cascais, une plage 4×4, pour y passer la nuit avant de commencer la régate du lendemain qui nous mènerait jusqu’à Madère. 

J1 : Le grand départ 

Nous nous réveillâmes après une nuit agitée au mouillage, heureux et excités à l’idée d’entamer la régate. 

Nous faisions le guet à la sortie du port attendant Numerosis, un bateau égyptien qui partagerait notre chemin. 

Un café, un croque-madame, une pomme et une banane afin de souquer les artimuses le plus précisément possible. Les égyptiens tiraient la réputation d’avoir traversé le golfe de Gascogne (proche Nil) en quelques heures seulement… Nous étions prêts à en découdre !

Une fusée de détresse plus tard et nous étions partis vers l’île aux recettes de plats en sauce (Madère).

Le vent annoncé à 26kts (rafales à 32, soit environ 50 km/h) nous donna par l’arrière de belles bourrasques qui nous firent surfer. Bossa Nova était lancé à près de 15kts, nous vîmes s’éloigner les côtes portugaises sur le haut des vaguelettes de 3 mètres de haut. 

La nuit se divisa en quarts que nous partagions. Capitaine Océan fut remarquable car elle nous fit gagner pas moins de 6 miles (11km) sur nos adversaires. 

La mer houleuse nous avalait au sein de ses creux pour mieux nous rendre en vitesse. La lune, elle, soufflait dans nos voilures, un parfum d’aventure, irradiant ces moments de grâce. 

C’est ainsi que filèrent la nuit et le vaisseau Bossa Nova jusqu’au petit matin. 

Surf au clair de lune

J2 : voiles, compas et ciseaux 

C’est capitaine Manu qui me réveilla. Je sursautais ! Il était 8h. Paris s’éveilla et je pris mon tour de quart. 

Le soleil s’était levé. Je me mis à surveiller la mer et le pilote qui la tint jusqu’au réveil des autres capitaines. 

12h. Ils se réveillèrent enfin. J’avais faim. En guise de 3ème petit déjeuner je préparais de petits sandwichs bacon et fromage pour le plus grand plaisir de capitaine Manu. 

Capitaine Océan liait un lien très fort avec chaque mouvement du bateau. Elle pratiquait la transcendance fusionnelle avec le chaos orbitaire à la mer. Cette technique qui s’apparente à une forte concentration peut parfois troubler celui ou celle qui la pratique par des présents buccaux. Lors de ses quarts, elle nous fit gagner, à coups sûrs, plusieurs miles. 

La soirée se teinta d’or. Le vaisseau filait à toute allure. Sur ma cithare, je plaquais des accords chauds de chants des Amériques du Sud. 

La mer, dansante, nous porta chaleureusement dans sa joie. J’entamais la nuit par un premier quart qui, je l’avoue, fut délicieux… 5 Mac Vities (petits biscuits au chocolat) plus tard, j’allais me coucher le ventre plein et l’esprit comblé par la puissance des immenses surfs qui faisaient vibrer mon cœur en résonance. 

J3 : tranche de 4 quarts

Je me réveillai tardivement après avoir terminé mon quart de nuit vers 8h. Il était 11h30 quand je retrouvai capitaine Manu sur le pont, une pomme au bec. 

La mer s’était calmée et le vent avec (plus que 15-20 kts, 27-37kmh). Le ciel tout teint de gris adoucissait le paysage. La journée passa calmement aux gré d’innombrables siestes. 

Les nouvelles de nos compatriotes égyptiens, que nous contactions régulièrement par VHF, étaient mystérieuses. Capitaine Manu, déconcerté, supputait qu’ils aient dans leurs coffres un genaker de papyrus surpuissant. Nos chances de gagner la régate s’évaporaient fiévreusement. 

Le moral ne battait pas son fort et pour retrouver le courage de nos vaillants capitaines, je décidai de préparer un repas anti-scorbut :

  • 3 oignons 
  • 10 patates
  • 200g de lardons (pour Manu et moi)
  • 30cl d’huile de tournesol

A près de 10kts (18kmh) et une gîte à faire pâlir un pingouin sur l’équateur, je décidai d’ouvrir une friterie dans les entrailles de Bossa Nova !

Il n’y eut pas une goutte d’huile, pas un oignon ni même un grain de farine sur le côté de la gazinière. [ndlr : ça colle encore un tout petit peu…] Les portions filaient et les capitaines ne cessaient d’en demander à la cuisine. Les gorges se déployèrent et la soirée battue par l’huile se faufila en quart de nuit comme à l’habitude…

Nous dormîmes sereinement entre chaque quart, le cœur léger et l’estomac se rapprochant toujours un peu plus de la destination finale. 

J4 : pétole de rose et hiéroglyphes 

Comme à chaque fin de nuit, c’est le son de l’eau filant sur la proue du navire qui me sortit du doux sommeil en mer. 

Le cri d’un oiseau insulaire m’annonça sur le pont. Capitaine Océan, grand sourire aux lèvres et barrant fièrement, m’acceuillit dans l’extase de l’île aux merveilles. Nous approchions Porto Santo. 

Nous retrouvâmes 4 barres de réseau sociaux. TikTok enchantait ma tablette portative de maintes chansonnettes. 

C’est alors que le paternel de Capitaine Manu nous apprit, pas l’AIS* (automotive island superpower) que nos compatriotes Égyptiens n’avaient pas émis de signal depuis un bout de temps. Cela signifiait qu’ils étaient loin derrière. Nous lâchâmes les chaînes de la féroce ancre de Bossa Nova, pour nous emparer vainqueur de l’île de Porto Santo. 

Épuisés mais heureux, nous prîmes repos dans nos pénates flottantes durant l’après-midi. 

Nous nous aventurâmes ensuite sur l’île sauvage. 

Quelle ne fut pas notre surprise quand nous découvrîmes une enseigne qui vendait du pain sec « muito tìpico » ressemblant étrangement à des biscottes communes. Nous en achetâmes un beau sachet pour le consommer à bord du navire. 

Sur le chemin du retour, nous nous arrêtâmes sur le vaisseau égyptien qui n’en était finalement pas un ! Ni hiéroglyphe, ni papyrus à bord, mais du cidre breton et une jolie petite famille. Nous échangeâmes sur nos stratégies et péripéties du voyage. Merci pour cette belle régate Numerosis !

Nous nous endormîmes l’esprit léger, le cœur battant et l’estomac rempli par notre arrivée victorieuse. 

*AIS signifie en réalité Automatic Identification System et il s’agit d’un système de signalisation des bateaux, mais nous n’avons pas voulu écorner l’oeuvre de l’artiste. (ndlr)

J5 : Splish, splash, splosh !

Réveillé par l’odeur du bacon grillé et du cheddar fondu, j’ouvris la porte de ma cabine remplissant mes draps de lumière dorée issue d’un jour délicieux à la naissance. 

Glissant le duo de mes guiboles sous la table, je jouis d’un brunch préparé par Capitaine Océan et Capitaine Manu. 

Nous nous reposâmes tout en exécutant la planche dignement, dans une eau si claire qu’on y voyait le monde parallèle au travers. 

Nous entreprîmes ensuite de partir à la découverte de l’île de Porto Santo. Hélas, nous fûmes stoppés au port dans les bureaux d’Anita de la Marina. Celle-ci commença par enregistrer méticuleusement la moindre information nous concernant dans un registre mystérieux qu’elle conservait secrètement aux autres employés du lieu (qui devaient ensuite nous demander à nouveau ces informations). Elle finit par nous inviter chez elle mais nous déclinâmes l’invitation, faute de temps. 

Nous nous équipâmes d’engins motorisés. Nous découvrîmes une île riche et verdoyante aux allées pavées de roche noire qui contrastaient avec la flore environnante. L’île nous offrît de magnifiques paysages que nous ne manquâmes pas d’immortaliser, munis de nos tablettes portatives. 

Nous passâmes la soirée dans une auberge aux multiples spécialités qui finirent pas nous caler au fond de nos couchettes, rêvant de jours fantastiques comme celui-ci. 

Les bikers à Porto Santo

J6 : bains de sauce Madère 

Nous nous réveillâmes dans l’eau claire d’un bain-matin face au bureau d’Anita. 

Tout en douceur, nous entamâmes la traversée vers l’île dont le nom connu des connaisseurs de cuisine portugaise aiguisait nos papilles. Le spi non tangoné battait de l’aile. La migration se déroula sans heurt, sous contrôle des capitaines. 

Peu de vent après, un clapotis chaotique sur le dessin de Bossa Nova et une allure au ralenti nous permirent d’apprécier la découverte progressive de Madère embrumée.

Nous passâmes le portique préhistorique de la pierre posée pour ancrer le navire dans un décor grandiose ayant été le théâtre du dernier Jurassic Park.

Dans l’optique de composer ce nouvel épisode cinématographique, mes capitaines et moi-même nous engageâmes à pieds sur un sentier de pierre colorées admirant les grandioses coulées de lave qui, à notre grand soulagement, ne laissèrent aucune chance à ces reptiles. 

Nous rentrâmes rassurés au navire en surfant sur l’annexe, dansant jusqu’au bout d’une nuit noire, puis décorant un cirque de mouillage au calme et à l’ambiance mythique. 

« je plaquais des accords chauds de chants des Amériques du Sud »

J7 : Dernières aventures madériennes 

C’est le premier plongeon qui donna le diapason à cette belle journée ensoleillée, ce qui me mit en appétit. Nous trouvâmes la paix gourmande par le croque-Monsieur cheddar, bacon et nappage au beurre à la mode des capitaines de la nouvelle vague. 

Nous partîmes ensuite vers le petit port de Machico, à quelques milles de là, posâmes l’ancre à l’avant de ses plages marocaines puis hissâmes le pavillon de la sieste. 

La terre paraissait habitée d’une faune humaine grouillante et d’une flore remarquablement verdoyante. Nous mîmes pieds à terre puis entamâmes le tour du fief de Mr Seguin. Son mont était parsemé de chèvres qu’il avait égrenées, leur donnant pour mission de faire la ronde de concert. 

Les rues de Machico toujours plus raides et pentues faisaient rugir les moteurs des bolides tant appréciés de la culture de « l’amélioration » portugaise. Leurs allers et venues rendaient le spectacle « bruitant ». 

Nous finîmes la soirée dans une auberge au nom de O Casco (« casa mama » d’après le guide) qui nous régala par son poisson passion et ses ponchas, cocktails fruités typiques de l’île de Madère. 

Nous eûmes le cœur à ressasser chaque jour de la traversée, nous remémorant les détails les plus glorieux et débattant des techniques transcendantales de navigation. La douceur de l’île nous berçant dans ses ruelles feuillues, nous rentrâmes joyeusement au navire ou je passai ma dernière nuitée. 

Le sommeil troublé par quelques vagues agitées, je me réveillai à l’aube, endossant mon sac pour quitter le navire et ses capitaines restant. C’est avec peine et déchirement que je dû lâcher la jupe du navire et voir s’éloigner de moi ce vaisseau admirable qui fut le destrier de nos aventures mémorables. 

« How many it is costing to go to the Aeroport on pilotis ?” c’est sur cet anglais absolument impeccable que je laissais mes deux moussaillons. Après une embrassade émouvante, je partis dans cette calèche typique à l’aérodrome vénitien où m’attendait l’avion qui allait me mener vers d’autres aventures. Je m’envolai rempli d’un sentiment de plénitude et de flottement les plus agréables. 

Bon vent mes amis !

Capitaine Steevie 

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