Paradis perdus – Saint-Pierre et Miquelon

Dans ma veste de soie rose, je déambule morose, le crépuscule est grandiose… Oups, je m’égare. J’écris ces lignes en navigation vers les Açores, à près de 1000km de Saint-Pierre et Miquelon, encore gorgée des souvenirs de ces deux dernières semaines. (Celles et ceux qui connaissent mon terrible mal de mer s’en étonneront, moi la première : le mal semble dompté par le temps et par les nouveaux petits patches que j’essaye dernièrement). Bref, nous venons de passer deux semaines magiques sur cet archipel qui semble un peu perdu au milieu du Canada environnant, du 9 au 22 juin. Comment décrire ces îles françaises de pêcheurs Bretons, Basques et Normands, au climat si rude, pourtant situées à la même latitude que la Vendée ? 

Saint-Pierre

9 juin. Après six jours de traversée depuis Cape Cod, Massachusetts, nous nous amarrons au quai Éric Tabarly. Il est 23h, il pleut des hallebardes, il fait froid, tout est trempé dans le bateau. La coque est un véritable réfrigérateur : sous la quille de Bossa Nova, l’eau est à 4°C. Nous avons quitté le sol américain après trois semaines, le 4 juin au petit matin. Les cinq premières journées de navigation le long de la Nouvelle-Ecosse se sont déroulées dans un cadre paradisiaque : mer plate, vent très faible (ok, inexistant parfois), beaucoup de très belles heures sous spi, et parfois la visite de quelques oiseaux ou d’un phoque curieux qui nous montrait sa frimousse quelques instants avant de disparaître à nouveau sous l’eau. Le dernier jour, ça se gâte : le vent se fait plus fort, on affale le spi, on réduit la grand-voile et on arrive à toute allure, juste avant un gros coup de vent qui s’annonce pour le lendemain. Le mal de mer ressurgit dans les dernières heures, et je suis contente d’arriver.

Donc, 9 juin, nous nous amarrons, branchons le radiateur. Un sourire échangé : on y est, voilà. Partis de Saint-Pierre Quiberon il y a dix mois, nous voilà désormais à Saint-Pierre et Miquelon. Destination imprévue à l’origine, mais nous savons déjà que nous ne regretterons pas le détour.

Saint-Pierre, c’est la petite île, et la grande ville. Miquelon, c’est la grande île, et le petit village (600 âmes contre environ 6500 chez la voisine). Port de pêche majeur jusque dans les années 1990 grâce à la morue, aujourd’hui l’usine a fermé, les pêcheurs ont changé de boulot, le Canada protège ses eaux territoriales.  

Très peu de voiliers mouillent ici, et encore moins des voiliers en plastique comme Bossa Nova : ici, les bateaux sont souvent en aluminium ou en acier, pour pouvoir remonter au nord, aller jusqu’au Groenland voisin, tâter un peu la glace. Nous sommes accueillis avec chaleur et curiosité par les habitants : premier restaurant après l’arrivée, le chef vient nous voir : « Mais d’où vous sortez, vous ? ». Ici tout le monde se connait, les nouveaux arrivants ne passent pas inaperçu. 

Nous explorons l’île à vélo et à pied, allons faire un tour à l’île aux Marins juste en face (à quelques minutes de bateau, aujourd’hui personne n’y vit à l’année mais de nombreux St-Pierrais y ont une résidence secondaire). Nous avons la chance infinie d’avoir du beau temps, ce qui n’est généralement pas gagné au mois de juin (plutôt le mois de la brume). Peut-être un peu de réchauffement climatique dans cette histoire. Les habitants se livrent volontiers, soit au sujet de la pêche, soit sur les changements qu’ont connue leur île depuis quelques années : certains pensent qu’il y a toujours assez de poissons et qu’on devrait pouvoir continuer à pêcher. D’autres évoquent la neige de leur enfance, plus rare ces dernières années, et l’érosion provoquée par l’absence de murs de glace sur la côte en hiver, laissant ainsi la terre à la merci des vents forts de l’hiver. 

Le musée de l’Arche nous éclaire sur l’histoire de l’archipel, tantôt Anglais, tantôt Français, toujours pêcheur. Et surtout sur l’histoire de la prohibition américaine ! Car pendant 11 ans, de 1922 à 1933, alors que les USA bannissent l’alcool de leur territoire, le trafic s’organise et Saint-Pierre en devient une plaque tournante ; du jour au lendemain des millions de dollars d’alcool transitent par ce petit port français, une véritable opportunité pour l’île en plein déclin suite à la baisse des stocks de poissons. Le gouvernement français laisse faire : ce sont aux USA de gérer le respect de leurs lois, et rien de ce qui se passe à Saint-Pierre n’est illégal ici. Mais la récréation ne dure pas et en 1933 les St-Pierrais sont contraints de revenir à ce qu’ils ont toujours fait : la pêche.

Nous pensions rester quelques jours seulement, puis repartir vers les Açores. La météo en a décidé autrement : pas de possibilité de départ avant 2 semaines. Soit, pas de problème. Après une semaine à Saint-Pierre, Bossa largue à nouveau les amarres : direction Miquelon.

Miquelon ou la nature sauvage

A peine quelques milles au Nord-Ouest, un vent favorable nous permet de mouiller à Langlade, la partie Sud de l’île de Miquelon (et attention à ne pas les confondre, Langlade c’est Langlade, Miquelon c’est Miquelon). Nous faisons un bout de chemin avec Bernick/ la mission Nerrivik, un bateau rencontré à St-Pierre, parti un an pour une mission scientifique [allez jeter un coup d’œil]. Le lendemain, le temps est à nouveau au beau fixe, parfait pour une longue rando dans les hauteurs, pinèdes, tourbières et rivières de Langlade. Nous partons ensuite pour Miquelon et nous amarrons à quai entre les bateaux de pêche (ici on ne pêche plus la morue, mais le homard, la Saint-Jacques et le crabe des neiges). 

L’accueil qui nous est fait est surprenant. Déjà, on est encore plus visibles : « Ah c’est vous qui étiez hier au mouillage à Langlade ! », et tout le monde semble prêt à vouloir nous aider ou à nous offrir des choses : on nous prête des vélos et on nous gave de produits locaux. Sur cette île un peu coupée du monde, où le climat est très dur une bonne partie de l’année, l’entraide est de mise et l’accueil est extrêmement chaleureux. D’autant que les visiteurs sont rares, ce qui doit contribuer à la sympathie qui leur est réservée. Les Miquelonais (environ 600, rassemblés dans le village pour la plupart et dans une moindre mesure à Langlade) sont attachés à la pêche, à la chasse et à cultiver leur petit bout de jardin. Ici la 4G n’est jamais arrivée, pas plus que la 3G d’ailleurs. La vie semble simple, un peu hors du temps au milieu de cette nature sauvage et brute, presque exempte d’intervention humaine. 

Le séjour d’une semaine se répartit entre balades, rencontres et préparation du bateau. Nous nous promenons au Grand Barachois ainsi qu’au Cap, tout au Nord de l’île, où nous apercevons deux superbes cerfs de Virginie et de nombreux phoques qui plongent autour des rochers. Un jour de pluie, nous visitons la Maison de la Nature et de l’Environnement, fabuleux petit musée de la vie sauvage et de la géologie de Miquelon. Nous passons plusieurs soirées au Mayou’naise, restaurant de Hervé, venu de métropole il y a une vingtaine d’années (et dont la cuisine est absolument divine), où nous faisons plusieurs belles rencontres. Nous passons pas mal de temps avec la Mission Nerrivik et faisons aussi la connaissance de Norman, Marina et leurs deux filles, des voyageurs en bateau arrivés ici il y a un an et qui ont décidé de mettre le voyage en pause quelques temps, après avoir parcouru, entre autres, les canaux de Patagonie. Leurs histoires nous font rêver ! 

La semaine passe à une vitesse folle, et au fil des jours les prévisions météo se confirment : un départ le 22 juin sera non seulement possible, mais extrêmement favorable. Vérification du moteur et du gréement, courses, cuisine, rangement : Bossa Nova est prêt à larguer les amarres !

Au revoir Miquelon, on a déjà très envie de revenir ! Prochain épisode : la traversée vers les Açores.

2 réflexions sur “Paradis perdus – Saint-Pierre et Miquelon”

  1. C’est pas juste ! Faire appel à la poésie de Christophe en plus des bonnes ondes que dégage cet article et ses photos…. Bravo à Océane pour avoir su exprimer ce contraste après l’archiville NY

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